
Le film du grand Ridley Scott a fait couler beaucoup d’encres. Et pour cause, son biopic sur Napoléon, sorti en salle en novembre dernier, fait hurler historiens, critiques de cinéma et idéologues de tous poils. Un petit point sur la question.
De Ridley Scott, outre ses chefs-d’Å“uvre Thelma et Louise ou Alien, on connaît principalement ses grandes fresques historiques. Pour le meilleur, comme Gladiator ou Le Dernier Duel, et surtout son premier film, Les Duellistes, chef-d’Å“uvre absolu, et parfois pour le pire comme son 1492: Christophe Colomb ou son Robin des Bois. Il existe aussi un entre-deux, comme avec Kingdom of Heaven où la director’s Cut règle certains problèmes de la version cinéma. Il se pourrait qu’une pareille chose arrive avec Napoléon. Après un premier montage de plus de 4 heures, à priori réservé pour le service de streaming Apple+, c’est une version de 2h30 qui arrive au cinéma. Et si vous ne connaissez pas l’histoire du Premier Empire ou de Napoléon en lui-même, bon courage pour comprendre. Car à force d’ellipses et de raccourcis, il est difficile de saisir ce qui se joue dans les guerres européennes ou pour le peuple de cette époque. Pire, même la figure de Bonaparte reste opaque. A contrario de précédentes versions, qu’il s’agisse de celle grandiloquente et patriote d’Abel Gance sortie en 1927 (et qui a aussi eu droit à de multiples versions) ou le téléfilm avec Christian Clavier dans le rôle-titre (mais oui !), ici, rien ne semble intéresser papy Scott.
Entre mythe noir et héros national : la vision controversée de Napoléon par Ridley Scott
En réalité, le cinéaste dépeint la légende noire de Napoléon, celle propagée par les Anglais depuis plus de deux siècles: Bonaparte serait un médiocre, un lâche, un violent, un cocu et sa réussite serait due au hasard ou aux autres. Au point de créer des contresens historiques assez graves (il fait tirer sur les pyramides de Khéops, lui le grand fan de l’Egypte ancienne qui a emmené dans cette campagne militaire des dizaines de scientifiques pour faire émerger une nouvelle discipline: l’Égyptologie).

De quoi rendre hystériques les tenants du roman nationaliste français. Pour eux, Napoléon est le héraut de la France moderne: réformateur aussi bien de la police que du code civil, figure d’autorité après le chaos de la Révolution française. Evidemment, la réalité historique se trouve entre les deux. Mais ça, Scott s’en fiche.
Et après tout, pourquoi pas. Décrire un tyran, un sale type, on aime ça au cinéma ou en série. Mais de Walter White de Breaking Bad à l’affreux Hannibal Lecter (dont Scott a fait un horrible préquel d’ailleurs), ces sales types arrivent à nous intéresser, parfois même à nous toucher. Le Napoléon de Scott est monolithique, fade, bête. Parmoment, Joaquin Phoenix semble reprendre ses rôles de patauds de Two Lovers ou Beau is Afraid, voire quelques scènes du début du Joker. En réalité, Scott voulait raconter la relation passionnelle et toxique entre Napoléon et sa femme Joséphine de Beauharnais. Or, même cet angle, dilué par le reste, mal fagoté, répétitif, ressemble à une pathétique romance.
Vanessa Kirby est pourtant très bien dans le rôle. Il y aurait d’ailleurs un film génial à faire sur Joséphine de Beauharnais, mariée puis veuve, inféconde une fois mariée à Bonaparte, vue comme la cause du rétablissement de l’esclavage car née en Martinique, moquée par la bourgeoisie, crainte. C’était une femme maligne, courageuse, mais ça encore Ridley Scott n’en a cure.
Esthétique soignée, vision manquante

Napoléon s’en sort mieux dans sa direction artistique (les costumes sont très chouettes, la photo aussi). Les batailles, finalement assez peu nombreuses, sont assez stylisées. Mention spéciale à la bataille d’Austerlitz qui se finit par une magnifique image de cinéma. D’ailleurs, si ces batailles font aussi fi de la réalité historique, elles n’en trahissent pas le sens.

«Ce qui m’a fait aimé le film est en effet les costumes et les décors que les américains savent si bien mettre en scène au cinéma cependant le film n’est pas vraiment représentatif de la réalité et un peu brouillon dans le contexte»
La fiction a toute sa place pour exister. Romancer, imaginer, s’amuser avec l’Histoire pour en faire des fictions n’est pas un souci. Encore faut-il ne pas bêtement reproduire une propagande, quelle qu’elle soit, et avoir un vrai point de vue. Ce que faisait par exemple le Marie-Antoinette de Sofia Coppola: de beaux anachronismes, des raccourcis, mais au service d’un regard de cinéaste précis, audacieux et passionnant.