ven. Mai 3rd, 2024
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Un film de: Jonathan Glazer Avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Ralph Herforth, Maximilian Beck Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Un retour en force de Jonathan Glazer pour son œuvre adaptée du roman éponyme de Martin Amis, disparu en mai dernier, La Zone d’Intérêt a été vivement acclamé, lui valant le Grand Prix à Cannes, rien que ça. Et pour cause, le concept est fort : traiter de la Shoah sans jamais la montrer. Du point de vue du commandant d’Auschwitz et de sa famille, en particulier de sa femme, marâtre campée par Sandra Hüller (Anatomie d’une Chute), nous ne rentrons jamais dans le camp. Il ne faut donc pas s’attendre à des scènes choquantes comme l’ont pu le montrer pléthores d’œuvres sur le sujet. L’horreur est suggérée, subtile, hors-champ, un procédé digne des plus grands films d’épouvante.

Mais l’horreur se cache dans les détails.  Déjà de par la mise en scène méticuleuse, calculée, l’exploitation total des décors – une maison formaliste et fonctionnelle et sa nature environnante, un paradis aryen de fleurs et de sapins – et des plans d’ensemble, des cadres toujours fixes, qui place le spectateur en observateur d’un quotidien des plus banals : anniversaires, balades à cheval, jeux des enfants dans le jardin… tout cela avec pour toile de fond les baraquements austères du camp et ses cheminées qui fument jour et nuit et contrastent avec le bleu immaculé du ciel polonais.  

L’image, déjà marquante par sa rigidité et son efficacité – sa beauté même ! – se fait éclipser par un autre médium : le son. Ici, il est omniprésent, oppresse à travers ce mélange gênant de chants d’oiseaux et bruits des balles et cris des prisonniers que nous ne voyons jamais. Environnement sonore sensible et trouble qui va être intensifié par la bande originale, vibrations expérimentales, froides, graves qui rappellent l’intensité des films de science-fiction. On se rappelle d’Under The Skin du même réalisateur ayant marqué les esprits par sa bande son horrifique et une Scarlett Johansson aussi détachée qu’un chef nazi.  Les gestes précis, mécaniques – cette scène où le commandant, en bon père de famille, va éteindre une à une chaque lumière de son intérieur avec une rigidité militaire, rappelant ainsi sa profession d’exécutant – les échanges cordiaux, rarement teintés de chaleur, entre les membres de la famille, somme toute normale (une mère, un père, de beaux enfants, la parfaite famille atomique) soulignent l’horreur qui est en train de se dérouler sous nos yeux : jamais ils ne se posent de questions.

C’est ainsi, c’est le quotidien. C’est le travail, comme lorsqu’il reçoit des industriels venus améliorer la machine à tuer, simple réunion de routine.  Le film ne prend jamais par la main, il nous laisse observer et imaginer sans jamais nous apitoyer. Parti pris donc d’une froideur extrême mais utile pour comprendre l’envergure de ce qu’a été l’état d’esprit des nazis : indifférents.  Le seul drame du film ? Lorsque la mère s’indigne de la mutation de son mari et donc la perte potentielle de son coin de paradis. La Zone d’Intérêt est un malaise permanent, un voyage à travers l’absurdité de la situation, où tous les personnages flottent dans la routine la plus totale. Et c’est là où La Zone d’Intérêt signe toute sa force : elle a réussi à représenter la banalité du mal, notion intangible et pourtant bien réelle.

Par Antoine ROUIT LORVIN

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